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Antonio Lobo Antunes

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Message  Barbara Jeu 3 Fév - 16:21

Antonio Lobo Antunes a été pour moi une découverte majeure, il y a une bonne dizaine d'années - peut être quinze, comme le temps passe ! Comme souvent, j'ai eu "ma période", durant laquelle j'en ai dévoré plusieurs. Puis j'ai décroché. Ce billet paru dans Le Monde des Livres me donne envie de raccrocher. Si par hasard quelqu'un a le bouquin, je suis preneuse. De mon côté, j'en ai plusieurs à proposer. Avis aux amateurs !

"Mon nom est légion", d'Antonio Lobo Antunes : Antonio Lobo Antunes et les démons de Lisbonne

LE MONDE DES LIVRES | 03.02.11 | 11h14 • Mis à jour le 03.02.11 | 11h14


Le titre biblique du dernier livre choral, musical et violent d'Antonio Lobo Antunes ne fait pas mystère de sa noirceur. Ce qui ne surprendra pas les lecteurs fidèles de l'écrivain portugais, né en 1942, auteur d'une oeuvre aussi scrupuleusement attentive à l'humanité qu'au mal depuis Le Cul de Judas (Métailié, 1983). Pourtant, les premières pages de Mon nom est légion, proches du roman policier, taquines et presque en sourdine, avancent lentement. A petits pas. La grimace est là, sans que l'on sache si elle est de souffrance ou de moquerie. Sa litanie de visions douloureuses et de rêverie, de barbarie et de naïvetés, est délicate, presque douce.

En vérité, le diable est dans les détails, on s'en doute. A commencer par ce titre, Mon nom est légion, qui se révèle à la fois l'une des principales clés de lecture du texte, mais aussi une fausse piste. Dans l'Evangile selon Marc, c'est en effet un homme possédé par des démons ("environ deux mille", est-il précisé) qui dit à Jésus : "Mon nom est Légion, car nous sommes en grand nombre." Mais, citant en exergue les neuf premiers versets de l'anecdote biblique, Antonio Lobo Antunes passe sous silence les onze suivants, qui racontent la délivrance du Démoniaque. Plutôt que le salut et le miracle, il déploie le roman amer d'un "quartier de constructions clandestines de la périphérie de Lisbonne".

Par petites touches de réalité agressive, de digressions interrompues et recommencées, l'écrivain dit, lui, l'inéluctable et la damnation. Et c'est ainsi que, durant toute une nuit, un gang d'adolescents se livre à des actes qu'un policier qualifie presque ingénument d'"antisociaux à caractère violent". Vol de voitures, attaque d'une station-service, viol et meurtres se succèdent en quelques heures avant que la police ne lance une opération de représailles - et décide de "la postérieure élimination par les moyens jugés nécessaires dudit groupe ou gang". Entre ces deux moments, entre l'action et la réaction, Antonio Lobo Antunes donne à lire un saisissant moment de poésie urbaine et infernale.

Fidèle à un amalgame qui fait la force de son style et sa marque de fabrique, Antonio Lobo Antunes construit son roman comme une symphonie, jouant sur les couleurs et le souffle de ses différents narrateurs. Car, en plus d'un texte choral qui alterne points de vue et partis pris, Mon nom est légion participe d'une poétique propre à l'écrivain portugais, qui organise ses séquences selon le rythme et la langue de ses personnages, leur tendance à la digression ou à la rêverie parasite, leur attention aléatoire aux événements de l'intrigue. Concentrés de discours souvent intérieurs, les chapitres fonctionnent comme des poèmes à voix basse, s'amusant des obsessions verbales et des répétitions involontaires de son orchestre.

C'est ainsi que le policier fatigué des premières pages, entre deux paragraphes, entre un vol et un meurtre, se laisse plusieurs fois aller à la "confidence inopportune" de son désir "absurde" de compagnie, soulignant "combien les stations-service la nuit avec leurs lumières au bord de la route mettent du baume au coeur". En écho, le dernier narrateur du livre, l'un des jeunes meurtriers, se laisse envahir par la compulsion d'un souvenir d'enfance, celui d'une vieille du quartier : "Mon petit elle disait. Mon petit. Après elle est morte, bien fait pour elle." En vérité, d'une solitude, l'autre. Du regret d'un homme vieillissant aux rodomontades d'un adolescent "métis de treize ans malingre, malnutri, efflanqué" : le trajet est d'une implacable cohérence.

Car le grand art d'Antonio Lobo Antunes est dans cet impressionnisme musical qui procède par éclats de langues, par visions et par sensations successives sans rapport apparent entre elles. Au fur et à mesure du roman, chaque détail s'ajoute aux autres, la distance procède d'une lecture lente et patiente - et à la fin, l'image apparaît dans le tapis, pour reprendre la formule d'Henry James. Chaque parenthèse (et elles sont nombreuses), chaque variation, chaque digression a son importance. Dans Mon nom est légion, sans surprise, l'image terminale est infernale. D'un fait divers, l'écrivain fait la peinture d'un quartier et le concert de ses voix noires, poétiques, condamnées.

L'enfer se manifeste tout d'abord dans son bestiaire : corbeaux, araignées, chiens, crapauds. Puis contamine le vivant tout entier : figuiers sauvages, touffes de joncs, médecins, policiers, criminels, vieillards, malades se succèdent comme des ombres contre un paysage qui agonise. Il y a les Nègres, "tout aussi dépenaillés qu'autrefois, nous léchant les mains avec l'espoir de trouver un maître vu qu'ils ont besoin qu'on s'occupe d'eux pour ne pas mourir de faim à mâchonner des racines". Et puis les Blancs. Tous unis dans une même misère douloureuse et un même racisme ordinaire. Dans le quartier du Premier-Mai, "les représentants des races inférieures dépourvus d'âme regagnaient leurs tanières", signale la police.

Un "tourbillon de malheur" : "toujours plus de baraques, toujours plus de cabanes, toujours plus de venelles, de poules féroces et de chiens moribonds". L'enfer selon Antonio Lobo Antunes, c'est l'humanité, ni moins bonne ni meilleure qu'ailleurs. Ecrasée et maudite. Réduite à un état animal et pourtant traversée par l'électricité des mêmes amours, des mêmes espoirs et des mêmes rêves. "Dieu ne m'aime pas", finit par lâcher l'une des voix, sans pathos et sans insister, avant de s'évanouir. Comme toutes les voix, ici. Fuyante comme les regards, que retiennent à peine les pompes à essence du bord de la route : "toutes proches, nettes", elles "me donnent l'assurance que j'ai malgré tout une place".

A chacun, Mon nom est légion donne la parole. Car la densité remarquable des livres d'Antonio Lobo Antunes est dans leur pluralité, dans le respect scrupuleux de ses personnages, du moindre détail et de chaque lecteur. Par sa musique, une littérature difficile à l'architecture complexe devient d'une vraie simplicité. D'une vraie beauté malgré l'enfer. On dira qu'il y a bien un miracle, finalement, ici. Celui qu'on ne peut pas résumer : le livre lui-même.
MON NOM EST LÉGION (O MEU NOME É LEGIÃO) d'Antonio Lobo Antunes. Traduit du portugais par Dominique Nédellec. Christian Bourgois, 512 p., 23 €.

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